Le clocher sonne le glas avec une telle élégance, qu’il emporte dans l’air les quelques indolences et les derniers soupirs des êtres qui s’éteignent. Nombreux pas souillent la terre promise et effleurent de leur effronterie les quelques vestiges d’une antique ville. Au milieu d’une rue désertique, sa silhouette se dessine : d’une élégance sauvage et féline. Son regard se redresse pour dévisager la lune magistrale qui contemple avec horreur le désastre. Les cadavres jonchent le sol, et c’est avec dépit que l’odeur nauséabonde du sang mêlé à la chair brûlée des quelques vampires s’éprend de l’air. Il admire son œuvre, réchauffé par les quelques flammes saillantes et funèbres. Le sang maculait son visage et ses mains comme on couvre une toile de carmin. Il humecte ses lèvres et arbore un sourire satisfait, un rire rauque s’étranglant dans sa gorge pour ne pas laisser au son l’opprobre de fendre le silence. Cependant, il était loin de la galvanisation escomptée. Il fixait avec une certaine indifférence ses quelques exploits. À son plaisir se mêla presque aussitôt le regret nostalgique d'une vie dont il ne connaîtrait les aspects que de cette manière imparfaite. Dans une famille feinte aux allures solitaires. La vérité est qu’on est seul au monde, et qu’on le reste. Malgré les quelques facéties que la réalité veut bien nous offrir en guise de mise en scène. Il avait tout gagné. Il venait d’obtenir ses droits sur cette ville qu’est Downside. Il venait de dérober le virus à une jeune chercheuse qu’il avait sciemment trompée. Il avait manipulé, tué, et tenait entre ses mains le virus qui allait finalement se répandre dans sa communauté. Il s’était efforcé non pas de fonder un royaume à l’image de la Nouvelle-Orléans, mais de construire un véritable empire. Un foyer sécuritaire où il pourrait vivre avec les fastes d’une famille dérisoire. Pourtant son cœur ne se libérait pas de l’étau qui le comprimait depuis des siècles. Quel était l’intérêt de la victoire, si on en goûtait seul ses saveurs ?
À ta naissance, une tempête faisait rage, les corbeaux croassaient, le ciel se fendait. Lorsque tu es venu au monde, ta mère souffrait le martyre, les pleurs s’harmonisaient avec la pluie, et le vent déracinait les arbres. Comme si le monde entier était conscient qu’en donnant vie à un monstre, une ère funeste venait de débuter.
Il serre les dents et dévisage le mur. Le son du clocher sonne à nouveau le glas, résonnant dans tout son être et portant en lui l’écho d’un souvenir amer. Il n’était que le bâtard issu d’une relation extra-conjugale entre sa mère Esther, la sorcière originelle et Ansel un chef loup-garou d’une meute ancestrale. Déjà condamné à demeurer le symbole même de la trahison, portant à jamais le sceau de la disgrâce en son âme. Son beau-père, Mikael n’avait pas conscience d’une telle infamie, mais commençait pourtant à développer une certaine forme de mépris envers ce « rejeton » faiblard et chétif.
Ses poings se serrent, ses dents semblent grincer au fil des battements de son cœur. Il fronce les sourcils et entrouvre les lèvres pour trouver la force résiduelle de l’air, l’inspiration soudaine. C’est un cri qu’il voulait pousser, mais qui ne lui était pas accordé. Tout ce qu’il faisait, ces frasques, cette cruauté et cette violence. C’était pour préserver sa famille.
Une famille imparfaite, aux allures grotesques et motivées par des idéaux qui le dépassaient. Elijah, Kol et Finn pour ses frères, Rebekah et Freya pour ses sœurs. Au-delà du mépris et de la colère qui animait les yeux de celui qu’il considérait alors comme son père, il se rattachait à cette famille. Ce qui semblait être sa famille. Faisant abstraction des coups, des humiliations, et de la terrible peine qu’un enfant pouvait éprouver à son âge.
Et puis il y a eu cet événement. La guerre les a saisis, corps et âme, extirpant des bas-fonds de leur être une capacité de haine et de cruauté qu'ils ignoraient porter. Ils sont soudainement devenus les originels, des monstres assoiffés de sang dont le plus cruel n’est autre que l’hybride en leur centre. Esther ayant perdu un fils et dévorée par la crainte de perdre ses autres enfants, conclu un pacte avec le diable en usant de sa magie noire. Par amour, par destruction, elle les voua à une vie éternelle de souffrances, de damnations et de tortures. Le secret fut révélé, l’adultère ne pouvait plus être dissimulé. Sa transformation est survenue le même soir que son baptême en tant que vampire. Il a muté, ses yeux ambre transcendaient l’obscurité, son cri bestial et inondé de souffrance fendait l’air.
Les corbeaux croassaient, le vent soufflait et le ciel pleurait. La chaleur insoutenable retenait son souffle face à l’avènement qui venait d’avoir lieu. Il était trop tard désormais, l’ère funeste venait de prendre un nouvel envol. Il était condamné à porter le poids des erreurs d’une mère débridée et portée par la débauche. Un bâtard, un traitre, un lâche.
« - Tout m’afflige et me nuit, et conspire à me nuire. » Pesta-t-il face aux restes du laboratoire qu’il venait de détruire, et soumis au joug des souvenirs harassants et moteur d’une colère qu’il ne pouvait plus réprimer. Son ire était si puissante, que ses ambres refaisaient surface, ses crocs sortaient et de fines veines noires se dessinaient sous ses yeux.
Souillé par les quelques erreurs de sa propre mère, elle ne s’était pas arrêtée au simple blasphème. Elle l’avait privé d’une partie de lui pendant des siècles. Scellant en son sein sa partie lycanthrope, ne faisant de lui qu’un vampire incomplet durant des années. Elle était aveuglée par son amour, il l’était par la rage. Elle lui avait donné la vie, il le lui avait pris. Scellant non seulement son destin, mais aussi celui de sa fratrie fuyant à ses côtés sous la décence de quelques mensonges de sa part : il accuse Mikael de lu terrible acte par peur de perdre ce qu’il n’avait pourtant jamais acquis.
La vérité. C’est qu’il n’est et ne sera jamais leur frère de sang. Certes il a essayé de faire partie de ce cercle privilégié et de gagner sa place. Sa maladresse et ses méthodes n’étaient pas réellement louables, mais il n’a jamais prétendu être exemplaire.
Pendant mille ans, Klaus a essayé de briser la malédiction qui lui incombe. Il créa le mythe de la malédiction du soleil et de la lune dans l'objectif de retrouver la pierre de lune et le double Petrova en tant qu’humaine, alors nécessaires au rituel. Son objectif était de libérer son côté loup-garou et ainsi créer sa propre espèce d'hybrides. Monté une armée et devenir certainement le roi du monde. C’est alors qu’en 1492, date phare pour l’histoire du monde, qu’il eut l’opportunité de se libérer d’un si terrible fardeau l’empêchant d’être complet : il rencontre Katherine Pierce, un double Petrova, un des maillons dont il avait vraisemblablement besoin. Cependant, pour fuir un tel destin, la jeune Petrova se transforma en vampire et prit le statut de fugitive. Lors des 500 prochaines années, Klaus a cherché un moyen d'enlever la malédiction sans le double, forçant ainsi des générations de sorcières à l'aider dans sa tâche.
Son seul objectif n’était pas de se libérer, mais de fuir tout autant son père Mikael qui toujours empreint d’une haine viscérale, s’était fait la promesse d’éradiquer la race des vampires et de se débarrasser définitivement du « bâtard ». Arrivé à la Nouvelle-Orléans, Klaus fait la rencontre d’un jeune esclave qu’il libère du nom de Marcellus Gérard. Il établit très vite avec lui un lien père/fils jusqu’à ce que son père retrouve leur trace et mette à feu la charmante ville qu’il avait bâtie. Il y retournera plus tard et constatera l’avènement du nouveau roi qui n’était autre que son fils adoptif : il vivra cela comme une trahison et reprendra son dû assez rapidement.
Aujourd’hui, il avait tout récupéré. Sa famille le suivait malgré ses nombreuses exactions et les punitions qu’il affectionnait tant. Malgré les dagues et les colères, la paranoïa et la rage. Il détenait un certain pouvoir sur cette ville, venait de récupérer un virus qui allait lui être bénéfique pour les années à venir. Et pourtant. Il n’avait pas l’audace de prétendre à un quelconque contentement. Il se sentait vide et remplissait le néant par ses craintes et sa colère. Il ravale sa salive, il ravale ses états d’âmes. Il laisse l’ombre d’un sourire espiègle peindre les traits de son visage qui ne peut plus discerner la peau du masque.
Avec les siècles il avait compris que ce qui importe n’était pas ce que l’on a perdu, mais ce à quoi on renonce.
Il renonçait à ses bonheurs et laissait volontiers ses quelques espérances aux démons tapis dans l’ombre, l’assaillant jour après jour. Il abandonnait son âme et tout espoir de rédemption à sa cruauté et au rôle qui lui incombait, permettant à sa famille de vivre sans avoir à se soucier de qui fera le sale boulot. De qui prendra les fâcheuses décisions.
Il abandonne alors sans regret le théâtre macabre qu’il avait créé. Il laisse la vie sauve à la chercheuse, par scrupule sans doute. Ou peut-être parce que la valse qu’il avait eut avec elle, bien qu’éphémère avait réussi à ébranler quelques-unes de ses certitudes. Il lui laissait la possibilité de se reconstruire, probablement de nourrir un quelconque sentiment de vengeance.
Il joue dans la solitude du deuil de celui qu’il était, frappé du déshonneur d’avoir failli. Il n’a pas su être un père, il n’a pas su être un frère et encore aujourd’hui il ne sait pas être lui-même. Il joue la partition de sa vie, sur une terrible symphonie. Il exècre chaque note teintée d’hypocrisie. Il s’isole et porte le masque de l’indifférence pour faire face à sa vie. Son art est une prière nue, un appel âpre et lancinant, et un adieu ultime à ce qu’il est. Il joue la solitude, la sienne, celle de la famille qu’il détruit, celle de ses prochaines victimes. Elle l’égrène, la dévide au fil de six préludes. Et enfin il s’oublie, dans l’abîme qu’il se forge, n’ouvrant les yeux que sur les personnes pouvant déceler en lui ses faiblesses et ses forces.