Elle la sentait. Cette sensation qui lui serrait le cœur, qui faisait battre le sang dans ses veines. Elle ferma les yeux. Elle n'entendait plus que les pulsations rapides et intenses de son organe vital. Ses paupières se soulevèrent à nouveau et un sourire se glissa sur ses lèvres, ses yeux s'assombrirent. Ce n'était pas la peur. C'était l'adrénaline. C'était ce frisson qui la faisait vibrer lorsqu'elle savait qu'elle allait effleurer la mort du bout des doigts. Et paradoxalement, c'était ce qui lui permettait de se sentir vraiment vivante dans un monde où le deuil était devenu une banalité quotidienne. 

Oui, ce soir, elle allait peut-être apercevoir l'ombre de la mort flotter au-dessus d'elle. Et en vérité, elle n'attendait que ça. Elle voulait regarder cette foutue faucheuse dans les yeux, lui cracher toute sa rage au visage, abandonner, baisser les bras, lui demander pourquoi elle était toujours là, dans un monde qui s'évertuait sans cesse à la poignarder dans le dos avec nonchalance, comme si rien n'avait d'importance. 

Son sourire s'évanouit et elle fronça les sourcils tandis que ses blessures à vif illuminaient son regard d'une lumière floue et tourmentée. Oh, elle aurait aimé que rien n'ait d'importance. Elle aurait aimé pouvoir écraser et enterrer ces sentiments qui foutaient son existence en l'air. Mais elle en était incapable. Sans doute était-elle trop faible. Trop faible pour admettre qu'une partie d'elle-même, qu'elle ne parvenait pas à étouffer complètement, voulait encore y croire, envers et contre tout, même si ça n'avait aucun sens, même si ça la mènerait indéniablement à sa perte. 

Elle secoua vivement la tête, irritée par ces pensées auxquelles elle se soumettait beaucoup trop souvent. Elle ne voulait plus penser. Elle ne voulait plus rien ressentir. Rien, à part cette colère, cette rage qui nourrissait sa détermination à toute épreuve et qui brûlerait tout sur son passage jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Elle voulait lâcher prise, une bonne fois pour toutes. 

Elle redressa la tête, abaissant sa capuche sur la tête tandis que les derniers rayons du soleil se reflétaient dans ses yeux d'une lumière incandescente, à l'image du brasier ardent qui la consumait de l'intérieur. Elle avançait, de plus en plus vite, d'un pas sûr et décidé. Elle avait un objectif, depuis toujours. Et ça, ça personne ne pourrait lui prendre. Et elle donnerait volontiers sa petite vie insignifiante si cela pouvait lui permettre de toucher au but. 

Ce soir enfin, elle allait avoir l'occasion d'agir vraiment, de dépasser les promesses et les belles paroles qu'elle n'avait eu de cesse de débiter jusqu'alors. Aujourd'hui, c'était un test, une épreuve : elle devait se prouver à elle-même qu'elle était bien plus que ce qu'ils croyaient tous. 

Enfin, elle arriva sur le lieu du rendez-vous. Le sang battait dans ses tempes. Elle inspira comme si elle s'enivrait de cette sensation, puis expira, et posa au sol la valise qu'elle avait transportée jusque-là. Son sourire désabusé et audacieux s'était à nouveau installé sur ses lèvres quand elle se retourna finalement vers la silhouette de celle qu'elle considérait désormais comme son alliée.

- Eh bien... J'ai failli attendre. J'espère que tu es toujours aussi déterminée pour mener cette mission à bien. Parce que je ne pourrais pas faire ça sans toi. 

Elle ferma les yeux, écarta légèrement les bras et inspira. Elle se délecta de la sensation de l'air qui emplissait lentement ses poumons. Elle ouvrit à nouveau les yeux face à son alliée. Elle était peut-être dans le couloir de la mort, pourtant elle n'avait jamais été plus apaisée. On passe la plupart de notre temps à chercher notre place dans ce monde, elle savait pourtant en cet instant qu'elle avait trouvé la sienne. Elle était exactement là où elle devait être. Peu importait si ça ne durait que quelques secondes, si après ça, tout était fini pour elle. Pour la première fois depuis longtemps, elle avait trouvé un sens à son existence qui lui avait parue de plus en plus futile au fil des années, au fil des échecs, au fil des cicatrices qui s'accumulent et ne disparaissent jamais vraiment. Oh, elle avait toujours son seul et unique objectif en ligne de mire. L'équilibre des espèces. Mais c'était progressivement devenu son radeau, sa bouée de sauvetage. Sa seule raison de se battre, sa seule raison de vivre. Elle avait oublié les raisons qui l'avaient poussée à défendre cette cause. Elle avait oublié son ancienne vie, à moins que son cerveau ne lui refuse tout simplement l'accès à des souvenirs bien trop douloureux pour qu'ils ne viennent pas perturber son esprit déjà fragilisé. Et, parfois, lorsque des bribes d'une autre vie venaient bousculer sa mémoire, elle ne pouvait s'empêcher de penser que si tout était à refaire... Alors elle vivrait différemment. Une seule constante restait : l'histoire pouvait bien être réécrite maintes et maintes fois, elle n'aurait de cesse de se battre. Dans ses veines coulait le sang d'un soldat discret, presque fragile, mais à la ténacité redoutable. Elle n'était plus assez naïve aujourd'hui pour croire qu'elle sauverait le monde, encore moins à elle seule. Elle avait conscience qu'elle n'était rien, pas même un grain de poussière, et son combat, à cette échelle, était bien insignifiant. Mais elle assemblait ses petits morceaux de rien pour faire un tout qui lui ressemblait. Ce soir, elle n'allait pas porter le monde sur ses épaules. Elle allait faire de son mieux pour être celle qu'elle voulait être, elle allait tout donner même si elle n'avait rien. 

Elle se concentra sur le visage de son interlocutrice, qui traduisait son angoisse et ses peurs, attachées à un passé qu'elle n'avait pu laisser derrière elle. La chercheuse fronça doucement les sourcils, fit un pas vers elle. Elle n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche, et ses intentions de ce moment précis demeureront à jamais inconnues. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, elle se retrouva sous l'emprise du vampire, le liquide rouge de son alliée coulant au fond de sa gorge. Par réflexe, elle tenta de se débattre les premières secondes, de cracher ce qu'on tentait de lui faire ingérer de force. Et puis, elle prit le dessus sur son instinct de survie, et cessa toute forme de représailles. Rien ne servait de perdre de l'énergie inutilement face à un ennemi qu'elle n'avait pas la force physique de vaincre. Lorsque son esprit intégra le fait que du sang de vampire était en train de couler dans son organisme, ses yeux se fermèrent, et un sourire imperceptible se dessina vaguement sur ses lèvres. Le liquide âcre rassasiait ses démons les plus fourbes qui n'avaient eu de cesse de lui susurrer qu'elle ne s'en sortirait pas vivante. Mais il nourrissait surtout ses desseins les plus sombres, ceux qu'elle n'avait pas encore eu l'audace de s'avouer à elle-même. Ils éclatèrent en plein jour au sein de son esprit, et l'esquisse d'un nouveau plan, toujours plus dangereux, toujours plus fou, toujours plus mortel, se dessina lentement. Ses paupières se soulevèrent tandis qu'elle scellait ce nouveau secret au fin fond de son âme. Il n'était pas encore temps de le dévoiler.

Elle se contenta de hausser les épaules comme si rien de tout ça n'avait d'importance. 

- J'ai l'habitude de risquer ma vie. La vie est un risque à elle seule. J'ai appris à en assumer les conséquences... Je n'ai pas peur de la fin. Qu'elle vienne donc.
Elle fit un pas vers elle, plongeant son regard dans le sien.

- Mais elle ne viendra pas. Je sais ce que je fais. Si cet acte te permet d'être rassurée sur le fait que je ne te laisserais pas croupir ici, alors tant mieux. Mais sache...
Elle s'approcha encore, martelant chacun de ses mots avec conviction et sincérité.

- ...Que je ne te laisserais pas. Que je sois humaine ou vampire, ça n'y change rien. Je ne laisse personne derrière moi. Tu as ma parole. 
Elle redressa doucement la tête tandis que son cœur battait la chamade. Elle était exactement celle qu'elle voulait être. Elle n'était pas la sauveuse. Elle n'était personne. Elle était juste une fille comme une autre, qui tentait de se battre pour ses valeurs et pour son intégrité. C'était, finalement, bien plus facile que ce que l'on prétendait. 

Elle recula enfin, se penchant vers la mallette qu'elle ouvrit devant la jeune femme. Celle-ci contenait une blouse blanche de chercheur, des liens ainsi que deux petits pistolets et des munitions.

Elle attrapa la blouse qu'elle enfila tout en s'adressant à son alliée.

- Je vais entrer en me faisant passer pour l'une d'entre eux... Tu seras la proie que je ramènerai en butin pour leurs expériences. Il va falloir qu'on trouve la salle où ils conservent leurs recherches. Au cas où ça se compliquerait... Nous aurons toutes les deux des pistolets tranquillisants que tu vois dans cette valise. Ils restent endormis pendant environ quinze minutes. Ça nous laisse une petite marge de temps pour atteindre notre objectif. Mais avant ça...
Une lueur passa dans ses yeux.

- Nous trouverons les cellules où ils gardent prisonniers les sujets de leurs expériences. Et nous les libérerons. Avec un peu de chance... Ils se joindront à notre cause et nous aideront à sortir de là vivants.
Elle haussa les sourcils, croisant les bras.

- Qu'est-ce que tu en dis ?