La réunion avait été d'une lenteur épuisante. Charlie était d'ordinaire aux petits soins pour ses collaborateurs et éventuels futurs partenaires, mais ce soir elle avait l'esprit ailleurs. Elijah n'était pas réapparu dans sa vie à proprement parler mais il avait fait un bond devant avant de disparaître à nouveau. Il n'était pas bien loin, elle le savait, elle n'était rien supposée avoir à lui dire de plus que ce qu'elle lui avait craché au visage quand il l'avait sortit -par mégarde- du laboratoire dans lequel elle avait été retenue prisonnière plusieurs jours, et pourtant il lui trottait dans la tête comme un putain de cafard qu'on arrive pas à écraser. Elle se revoyait, jeune, innocente, naïve, en train de danser avec lui sous le porche du jardin de là où avait lieu le bal. Elle avait mis tellement de temps à choisir sa robe, à coiffer ses cheveux, à tenter de se faire belle pour cet homme qui faisait chavirer son coeur, tout ça dans l'espoir d'un baiser. La mémoire des mains du Mikaelson sur sa taille était encore vive, comme présente, elle l'avait eu son baiser. Le premier de toute sa vie d'innocente jeune femme, celui qui faisait passer de l'enfance à l'âge adulte, qui rendait toute chose et en même temps si timide. Et puis il avait planté ses crocs dans sa chaire, sans raison, et elle était morte.

« Mademoiselle Burberry ? » La voix masculine la tira de ses souvenirs. Plusieurs regards la dévisageaient, l'air de se demander sur quelle planète elle avait atterrit. Un sourire faux s'installa sur les lèvres de la jeune femme qui se leva lentement. "Je suis sincèrement désolée, je me sens affreusement mal." s'excusa-t-elle avec une mine fragile. Aussitôt, les hommes présents à la table de réunion se levèrent en lui pardonnant de toute part, répétant à qui voulait l'entendre qu'ils comprenaient, qu'ils étaient désolés que la réunion ait duré si longtemps, qu'ils auraient bien le temps de se revoir, et bla, bla, bla... Autant de mots mielleux que Charlie accusa docilement avant de renvoyer ses collaborateurs chez eux. Elle devait parler à Elijah. Savoir pourquoi. Pourquoi tout avait changé d'une seconde à l'autre, ce qu'elle avait fait de travers, si il avait prévu ça depuis le début ou si ça avait été le pur hasard d'une petite faim inattendue. Elle devait comprendre. Jusqu'ici elle l'avait pratiquement oublié, mais maintenant qu'il était revenu, chaque parcelle de question qui avait trotté un jour dans sa tête était revenue au galop. Elle devait s'émanciper. Pour de vrai.

Le message avait été envoyé depuis quelques heures maintenant et toujours pas de réponse. Elle n'était pas surprise, Elijah était un lâche derrière ses grands airs, mais elle avait espéré qu'il fasse un pas vers elle. Elle avait abandonné l'idée qu'il lui réponde après deux heures et avait été noyer ses idées sombres dans l'eau chaude d'un bain. Elle en sortit pour mieux se plonger dans une tenue et un maquillage plus classiques, plus confortables, plus en phase avec sa véritable nature de roturière modeste et moins axés sur la séduction des hommes d'affaire qu'elle rencontrait. Elle allait sortir, mais pour elle, pour se retrouver, pour prendre l'air. Elle allait s'offrir un moment de détente lorsque la petite alarme de son appartement retentit dans son bureau. Un faible soupire s'échappa de ses lèvres tandis qu'elle allait l'éteindre et elle quitta l'étage de l'hôtel, qui lui était entièrement réservé, pour descendre dans le hall de réception.

Le bruit significatif de l'ascenseur annonça l'arrivée de Charlie. A peine sortie de la cabine que la réceptionniste se précipita vers elle, déblatérant une série de mots que la vampire n'avait pas le courage d'écouter. La main de Charlie se leva, impérieuse, antinomique à son visage doux et innocent, et la réceptionniste se tut aussitôt. La vampire approcha du comptoir, posant un regard affreusement neutre sur l'inconnu qui jouait avec le crayon de son employée, les pieds sur le bureau. Les clients avaient déserté le hall, il ne restait plus que quelques vampires, des enfants de Charlie, qui n'avaient fait aucun geste envers Klaus. Charlie était là, personne n'avait besoin de bouger tant qu'elle n'en donnait pas l'ordre, et il était difficile de concevoir toute cette autorité lorsqu'on regardait à quel point elle paraissait douce et fragile. Elle n'avait aucune idée de qui était l'homme en face d'elle mais elle avait parfaitement sentit qu'il n'était pas humain. C'était tout ce qu'elle pouvait déterminer chez lui. "Je suppose que vous êtes le sujet de cette alerte tardive." Gracieusement, elle tendit le bras vers l'ascenseur. "Et si nous allions discuter dans mon bureau, plutôt que de déranger mes clients et d'effrayer mes employés ?" proposa-t-elle d'une voix aussi paisible que son visage. L'un des vampires sortit machinalement les crocs, mécontent que sa mère prenne un risque pareil, mais un court regard sévère de la part de Charlie suffit à lui faire baisser la tête. Elle reposa alors les yeux sur Niklaus et lui offrit même l'ombre d'un sourire, discret, fatigué, mais poli, tandis qu'elle hochait la tête pour l'inviter à accepter sa proposition.

Charlie aurait pu savoir qui était Klaus si quelqu'un avait pris la peine de lui apprendre et qu'elle n'avait pas eu à s'élever toute seule. Elle aurait pu savoir à quel point il était dangereux, savoir que sa présence ici pouvait être ou mortel, ou très avantageuse. Mais Elijah n'avait pas été là et Charlie avait dû apprendre seule à reconnaître ses amis de ses ennemis et Klaus était complètement inconnu au bataillon. En fait, elle avait bien fait des recherches sur la naissance des vampires en général mais tout ce qu'elle avait trouvé était quelques légendes, des contes pour faire peur aux enfants, avec des retours littéraires qui oscillaient entre Dracula et la Bête du Gévaudan. Rien de bien concret. Alors elle avait lâché l'affaire, parce que finalement ça importait peu. Elle n'avait pas prévu de se retrouver face à un des premiers vampires de l'histoire de l'humanité dans sa vie. Elle n'avait pas assez connu Elijah pour savoir qui il était. Ce qu'il était.  La présence de Klaus ne signifiait donc absolument rien pour elle, il n'était personne à ses yeux, et même si elle avait su son nom elle n'aurait pu mettre une étiquette sur son statut. Pour l'instant, il n'était qu'un emmerdeur qui venait foutre la merde dans son hôtel.

Charlie n'avait pas survécu pendant plus de 400 ans en arrachant n'importe quel tête et en insultant le premier problème qui s'opposait à elle. Elle venait d'une époque et d'un milieu modeste, aux manières élégantes, dont elle n'avait rien perdu, et même si son invitation à passer dans l'ascenseur pour aller jusqu'à son bureau avait pris un vent royal, elle n'allait pas se comporter en animal. Elle rabaissa simplement son bras lorsque la première brimade franchit les lèvres du vampire blond. « - Tu en fais une tête, problèmes de cœur ? » Tiens donc, elle avait envoyé un message à un vampire et c'en était un autre qui se pointait deux heures après pour la provoquer. Un premier tilt se fit dans l'esprit de Charlie. Cet homme connaissait-il Elijah ? Elle ne répondit pas à sa question, refusant de rentrer dans son petit jeu. Lorsque le téléphone portable fut sortit de la poche, un deuxième tilt sauta à l'esprit de Charlie qui fronça les sourcils. La coïncidence était trop grande. « - Ou alors ton prétendant ne dispose pas des moyens nécessaires pour répondre à ton inclination débordante. » Et bam, confirmation. Ce téléphone était à 99% sûr à Elijah, qui se l'était fait piquer ou qui s'était mis dans de sales draps. Le sourire sur le visage de l'inconnu est presque flippant tellement il est perfide, et Charlie aime de moins en moins ça. Elle avait bien tenté de retrouver Elijah, au début de sa transformation mais elle avait abandonné rapidement. Leurs retrouvailles dans le laboratoire n'était que le fruit du hasard et elle ne voulait pas avoir à faire avec ses détracteurs. Si toutefois le vampire en face d'elle en était un.

La seule chose qui inquiétait Charlie en ce moment, c'était le crayon qui tournait machinalement entre les doigts de Klaus. Pour en avoir utilisé une bonne paire de fois comme arme de fortune, elle savait qu'il suffisait d'un rien pour que ça se change en pieu. Du moment qu'il ne faisait que tourner, tout allait bien. Sauf que son possesseur tournait également autour de Charlie et ça commençait à exciter les vampires qui voyaient d'un mauvais oeil cette approche bien trop menaçante autour de leur mère. Elle n'avait pas à faire à un jeune sauvage, ça se voyait, ça se sentait. Du moins, elle le sentait. Les autres, plus ou moins jeunes, répondaient à leurs instincts primaires et commençaient à se faire agités. Elle n'avait pas placé les plus vieux et les plus expérimentés à la sécurité aujourd'hui, mais elle n'avait pas non plus prévu qu'un inconnu de leur race se pointe pour foutre le bordel. C'était un hôtel de luxe ici, pas un hôtel de passe.

« - Je pensais pouvoir passer au-dessus de tout ça mais en fait je n'y arrive pas. » Elle n'aimait décidément pas son sourire. C'était dommage, il avait un certain charme, mais ni son regard ni sa bouche n'affichaient quoi que ce soit de sain. « - C’est très romanesque… » Charlie soupira, l'air plus agacé qu'autre chose. Elle en avait marre de se taire. Ce petit con s'amusait d'elle et elle n'avait pas envie de jouer. « - Oh, attends… tu deviens bien plus lyrique ensuite. » Elle lui coupa tout simplement la parole, agacée de toute cette mise en scène. "Je sais parfaitement ce que j'ai écris. Où est Elijah ? J'avais des comptes à régler avec lui, mon message n'était pas destiné à attirer un inconnu en manque de distraction." D'accord, là elle perdait sa patience. Elle avait encore du travail bureaucratique, ses enfants ne tenaient plus en place et en plus de ça, elle ne pouvait pas s'expliquer avec Elijah. Ca devenait pénible. Mais puisque l'inconnu voulait jouer l'insolence, elle n'avait pas à insister sur les formules de politesse. Le tout était de protéger ses enfants et les éventuels clients qui passeraient par là, et puisque le vampire ne semblait pas vouloir bouger royal fessier du hall, Charlie n'avait pas le choix. Elle claqua des doigts en direction d'un de ses vampires, le plus docile aux ordres, qui savait ce qu'elle voulait. Les enfants de Charlie sortirent pour verrouiller les portes, dont celle d'entrée, quitte à bloquer d'éventuels clients dehors, et laisser Charlie et Klaus seuls. Un risque qu'elle prenait volontiers face à quelqu'un qui cherchait visiblement la conversation -quoi qu'il méritait des claques pour son débordement de provocation- plutôt que le combat, mais qui n'avait visiblement pas l'intention de décamper. Charlie se déplaça alors vers le comptoir, contre lequel elle s'adossa en croisant les bras, nonchalance vouée à mettre discrètement un peu de distance entre eux. Parce que mine de rien, il ne lui inspirait absolument pas confiance et bien qu'elle tentait de le masquer, il la mettait mal à l'aise. Son regard se planta dans celui de l'originel, qui aurait pu être froid et sévère si elle n'avait pas eu un visage aussi débonnaire. "Qui es-tu et que veux-tu ?" demanda-t-elle sans détour.

Elijah avait définitivement disparu et si la situation l'avait permis, Charlie se serait volontiers tapé le plat de la main sur le front. « - Oh et bien je dirais… qu’il est parti faire une retraite monastique. Les vampires ne sont pas croyants, cela ne les empêche pas de s’adonner à l’éveil des sens et au sommeil éternel. » Un frisson balaya la nuque de l'Elite, qui sentait comme un étau se refermer autour d'elle. Peu importe ce que Elijah avait bien pu faire pour énerver ce vampire, ça allait visiblement lui retomber sur le coin de la gueule alors qu'elle n'était qu'une victime dans cette histoire. Elle avait le don pour s'attirer des emmerdeurs. Charlie savait qui était Elijah, ce qu'il était, elle n'était pas ignare à ce point, surtout qu'elle avait dû se renseigner sur lui à l'époque où elle l'avait cherché, peu après sa transformation. La résignation et le temps avaient fait qu'elle s'était arrêtée à lui, ne s'attardant pas sur l'éventuelle découverte des membres de sa famille. Elle était bien trop obnubilée par la simple existence du vampire et ne voyait que lui, jusqu'au moment où elle avait littéralement changé d'avis pour décider de s'élever plutôt que de suivre une ombre. Alors forcément, même si entre temps elle avait appris la véritable nature profonde d'Elijah, Klaus était un parfait inconnu à ses yeux. Raison de plus pour rester passablement perplexe face à l'annonce qu'il venait de lui faire. Elijah ne pouvait pas être mort, c'était tout bonnement impossible, elle se refusait à y croire. De plus Charlie n'avait aucune idée de la façon dont on tuait un originel, ni même si c'était faisable. Si le but était de foutre le bordel dans sa tête, c'était réussi.

"Mes enfants..." le corrigea-t-elle. "... n'agiront que si je le leur ordonne ou si tu lèves la main sur moi." Une lueur très mesquine passa dans son regard pourtant si paisible depuis tout à l'heure. "Ils ont le sens du sacrifice." Aucun n'était dupe. Leur Mère les protégeait et s'occupait d'eux, mais ils n'étaient de la famille que s'ils étaient prêts à mourir pour elle. Et c'était le cas. Embobinés, charmés, manipulés, peu importe les raisons de leur présence ici, chacun était prêt à donner sa vie pour laisser ne serait-ce que quelques secondes de plus à leur Mère. "Ils n'auront cependant pas besoin d'aller jusque là aujourd'hui." Charlie leur ordonna de quitter la pièce, ce qu'ils firent, laissant l'originel et la vampire d'Elite en tête à tête. Le danger était bien présent, elle ne le sous-estimait pas et pour preuve, elle avait pris ses distances par rapport à Klaus, mais elle avait déduit de leur courte conversation qu'il n'était pas là pour faire un massacre. Pas tout de suite, en tout cas. Pas tant qu'elle ne lui en donnait pas une raison valable. Il avait autre chose en tête et elle avait trouver quoi. Un mot n'avait cependant pas échappé à Charlie. L'inconnu se présentait comme étant un originel, du même genre qu'Elijah du coup, et ça ne la laissa pas indifférente. Ô grand jamais elle n'aurait deviné qu'ils puissent être frères, absolument rien ne les associait, ni leur comportement, ni leur physique, et pourtant elle devinait qu'un lien étroit devait les relier pour qu'ils aient tous les deux l'honneur de représenter les pères de toute une race.

Le crayon s'était arrêté entre les doigts de l'originel et Charlie, qui s'était éloignée pour s'adosser confortablement au comptoir de l'accueil, se raidit légèrement lorsqu'il approcha. Près. Beaucoup trop près. Un nouveau frisson s'empara d'elle, plus habituée à dominer ce genre de situation que l'inverse. Le souffle qui venait caresser le sien lui inspirait un mélange de crainte mêlé au respect de tout ce charisme qu'il dégageait. Pourtant, et malgré son angoisse grandissante, Charlie ne baissa pas les yeux face à l'originel. Ses yeux sombres se noyaient volontiers dans ceux, bleus profonds, de l'homme qui se tenait face à elle. « - Par les siècles, je n’ai eu que rarement le plaisir de rencontrer une femme avec une telle dignité. C’est pourquoi je vais me montrer digne de toi en répondant à tes questions. » Pendant un instant il recule et Charlie se souvient qu'elle se doit de respirer. Elle entrouvre alors légèrement les lèvres pour attraper un peu d'air, peut-être un peu trop vivement, et le suit du regard sans bouger. Elle avait l'impression d'être enveloppée dans une aura de puissance capable de la broyer au moindre faux pas et n'avait certainement pas envie de déclencher la conséquence infernale d'un geste mal interprété. « - Je suis Klaus Mikaelson. L’hybride originel… et je suppose que tu le sais déjà mais… [...] Je suis immortel. »

Mikaelson. Le nom résonna dans l'esprit de Charlie qui se sentit défaillir à l'intérieur. Son lien avec Elijah était bien plus étroit que ce qu'elle pensait. Charlie garda le silence pendant quelques secondes avant de se détacher du comptoir, se rapprochant à son tour de l'originel si intimement que son souffle se mêlait au sien. "J'en déduis que si tu te sens obligé de préciser ton immortalité, c'est que tu as parfaitement conscience de l'émoi agaçante que provoque ton attrayant sourire mesquin ?" le provoqua-t-elle gentiment. Charlie n'était vraiment pas grande, mais puisque Klaus lui laissait l'opportunité d'atteindre sa hauteur en se baissant, elle allait en profiter. Elle pencha légèrement la tête sur le côté, passant une seconde son regard sur les lèvres de l'originel qui lui soufflaient de l'air chaud depuis quelques minutes, avant de remonter sur ses yeux. "Je vais abuser de cette dignité que tu me trouves pour réitérer des questions auxquelles tu n'as pas répondu : Où. Est. Elijah ?" Parce que oui, dans l'immédiat c'était la seule chose qui l'intéressait. "Il ne peut être mort. C'est tout bonnement impossible." Elle ne le précisa pas devant Klaus, autant le laisser dans l'ignorance pour l'instant -si elle avait lieu d'être-, mais elle savait que la mort de l'originel aurait provoqué la sienne. Fatalement. "Que veux-tu ? N'es-tu donc là que par curiosité ?"

L'hésitation était grande entre le malaise et l'ennui. Klaus avait quelque chose d'impressionnant, un espèce de charisme éclatant qui forçait le respect, et pourtant il commençait sérieusement à agacer Charlie qui gardait toutefois un contrôle assez impressionnant d'elle-même. Son petit sourire, aussi craquant soit-il, n'avait rien de rassurant et elle voyait les problèmes venir à grands pas alors que tout ce qu'elle voulait, elle, c'était de faire grossir son entreprise et son entourage. Elle commençait à avoir un empire d'hôtels, d'argent et de larbins d'enfants autour d'elle, et cet homme n'y était pas le bienvenu si son seul but était de foutre le bordel. Par ailleurs, il tournait autour du pot en ce qui concernait Elijah et ça commençait à devenir rébarbatif. Toutefois, il en vint quand même à enfin avouer qu'il était toujours vivant -ce que Charlie ne prenait pas à 100% comme une vérité pour l'instant- et ça suffit à calmer l'irritation grandissante de la vampire. A priori, elle allait encore être en mesure d'exiger des explications d'Elijah, c'était tout ce qui lui fallait. « - Je n’ai cure de [...] galanterie et l’hypocrisie. » Charlie écarquilla d'abord les yeux d'un air choqué, puis perdant toute habitude de flegme elle commença à rire, le genre de rire un peu nerveux qui creusait de jolies fossettes dans ses joues, qu'elle arriva toutefois à stopper avant qu'il ne devienne incontrôlable. "Elijah, galant ? Non non non, je t'arrête tout de suite." Son air calme et froid avait laissé place à un rictus mauvais et rancunier sur son visage habituellement si avenant. "Ton frère, si tu es vraiment celui que tu prétends, est un manipulateur hypocrite et tellement imbu de sa personne qu'il n'a aucune conscience de sa propre personnalité. La vrai, pas celle qu'il s'invente pour se donner une prestance." Elle sembla se rendre compte qu'elle avait laissé échapper un peu trop "d'elle-même" dans cette réponse et fit de son mieux pour rattraper un air plus froid, qui ne retrouva pourtant pas sa fermeté du début. "Je suis en vie parce qu'il est si empoté qu'il a manqué son coup qu'il voulait, je suppose, théâtral. Rien de plus." avoua-t-elle sans honte. A l'époque, elle était naïve, manipulable, faible. Si elle avait eu le caractère d'aujourd'hui autrefois, jamais elle ne serait tombée dans les bras d'un homme aussi insipide et monotone que lui.

L'homme s'était remis contre le bureau, l'air aussi blasé que si il racontait l'histoire la plus barbante de l'univers. Alors qu'il était là pour son propre compte. « - Si je suis venu, c’est uniquement [...] un terrain d’entente. » Un sourire se dessina sur le coin des lèvres de la jeune femme, qui s'amusait de cette facilité qu'il avait à s'imaginer qu'il pouvait la forcer à quoi que ce soit. Il était loin de savoir à qui il avait à faire. Charlie était restée en vie parce que ses opportunités s'étaient présentées face à elle mais elle n'avait jamais baissé les yeux devant qui que ce soit et elle n'a rien à perdre. Ni famille, ni amis, les hôtels et l'argent n'étaient que des biens matériels, facilement remplaçables. Son regard, défiant presque celui de Klaus, était d'une nonchalance fulgurante. Les menaces de l'Originel n'avaient aucune portée contre elle et ça se voyait. "Je suis une femme d'affaire. Tu n'avais pas besoin de terroriser ma réceptionniste pour négocier." fit-elle remarquer avec un brin de moquerie gentille. Son visage respirait la taquinerie, mais il n'y avait aucune méchanceté dans ce qu'elle disait. Elle avait bien compris que de toute façon c'était sa façon de faire. Elle s'approcha donc de lui, profitant qu'il soit appuyé contre le bureau, donc un tout petit peu moins grand, pour le regarder à niveau égal. "Je t'écoute. De quel terrain d'entente tu parles ? De quoi est-ce que tu veux me persuader ?" Quelque part, et même si Niklaus ne le savait pas, il avait déjà gagné une bonne partie de son plaidoyer. Son entrée seule dans l'hôtel avait séduit Charlie, même si elle lui disait le contraire, et son caractère lui plaisait. Restait à savoir si ce qu'il voulait d'elle aurait un quelconque intérêt, mais vu l'ennui dont elle pâtissait en ce moment, elle n'était pas contre un peu d'occupation. Et même si elle restait aussi neutre que possible, le regard malicieux de Charlie trahissait sans mal l'impatiente curiosité qui la rongeait.

L'aspect théâtral devait être de famille. Que ce soit Elijah et ses manières bourgeoises exagérées ou Klaus et ses expressions de visage on ne peut plus dessinées, on ne pouvait contester leur lien du sang en les comparant. Ils avaient tous les deux ce truc, ce petit quelque chose de caractériel, de grandiose. Comme si tout leur était dû et que rien ne pouvait leur être refusé. Comme si chacune de leur action était sans conséquences, à la valeur d'une goutte de pluie dans l'océan. C'était donc ça, des Originels. Imbus, confiants, charismatiques. Séduisants. Combien de Mikaelson devraient donc tuer Charlie pour qu'elle comprenne qu'il n'était pas bon de rentrer dans leur petit jeu ? Probablement un de plus, parce que Klaus avait réussi à intéresser suffisamment la demoiselle Burberry pour qu'elle ait envie de faire alliance avec lui. "Disons qu'il a oublié d'évoluer." confirma-t-elle aux paroles de l'hybride. Quelque part, Niklaus était dans le faux. Charlie était quand même morte par manque de lucidité, il avait fallu qu'elle sente le souffle froid de la faucheuse, puis l'horrible douleur de la soif de sang éternelle pour admettre que non, Elijah n'était pas l'homme qu'elle croyait. Une époque bien lointaine, mais qu'il était impossible de corriger et qui lui rongerait les sangs probablement pendant encore longtemps. Quatre cent années n'avaient pas suffit à Charlie pour décolérer et même si aujourd'hui elle n'attendait plus rien d'Elijah, elle préférait encore l'éviter pour ne pas sortir de ses gonds. Il était hors de question qu'elle perdre le contrôle pour ce connard.

"Cette fois ?" répéta-t-elle sous le ton de l'interrogation. "Dois-je comprendre que, toi aussi, tu es source de frustration et d'énervement ?" demanda-t-elle sans détour. Les Mikaelson étaient-ils donc tous un nid à problèmes ? Y en avait-il un -ou une, Charlie ne savait pas jusqu'où s'étendait la famille- qui sache se conduire correctement ? La conversation dévia de nouveau sur la réceptionniste et Klaus feignit tellement bien la surprise que Charlie comprit qu'elle allait encore se faire avoir. Sauf que cette fois, elle sautait dans la gueule du loup les pieds joints, en parfaite connaissance de cause. Mine de rien, ça lui donnait une sacrée longueur d'avance comparée à son moi du passé. Lorsque Klaus planta de nouveau ses yeux dans ceux de la jeune femme, elle se laissa volontairement emprisonner par ses deux cercles verts. Pas pour s'y soumettre, mais plutôt pour sonder l'âme qui miroitait à travers. Si elle pouvait déceler une émotion, réelle, elle se sentirait plus à l'aise. Mais tout ce qu'elle percevait de Klaus était cette profonde manipulation de son environnement. De la colère, de la rancœurs, de la jalousie peut-être. Toutes ces émotions négatives passaient à travers son regard -elle ne savait absolument pas s'il en était conscient- et heurtaient Charlie de plein fouet, dont l'empathie profondément enfuie et cachée depuis pourtant bien longtemps était encore très sensible.

« - Peut-être que nous pourrions conclure un traité de paix entre nos deux entreprises. Si j’ai besoin d’informations, je peux venir te les demander et libre à toi de me les donner ou non. Et je ferai de même. » La jeune femme laissa naître un nouveau sourire sur ses lèvres. Paisible, indéchiffrable. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas rencontré quelqu'un qui apportait autant d'excitation dans sa vie, bien trop longtemps qu'elle se contentait de s'occuper des contrats banalement humains et lucratifs dans son bureau, qu'elle n'avait plus vraiment existé. Au fond, elle sentait que Klaus allait lui ouvrir une porte brûlante, dangereuse, à la traversée incertaine, et c'était tout ce qui la charmait. Ça, et ses lèvres si proches des siennes lorsqu'il s'était approché avec son crayon pour abuser de son charme dont il connaissait parfaitement l'étendue. Pendant quelques secondes, juste le temps qu'elle baisse les yeux vers ses lèvres et laisse se former entre eux une atmosphère bien plus que torride, Charlie laissa un silence s'installer. Assez pour mordre mentalement les lèvres de Klaus sans le toucher physiquement, pas assez pour que ça en devienne gênant. Elle glissa ses doigts le long de ceux de l'hybride, les frôlant du bout de l'épiderme, et attraper le crayon. "Je marche." répondit-elle dans un souffle. "Sache que mes enfants seront à ta disposition, si tu en as le besoin. Ils n'ont aucun mal avec le sens..." Une brève hésitation, puis elle reprit. "... du sacrifice." L'horreur de ses paroles détonaient avec la douceur de sa voix, mais c'était un fait. Les vampires qui avaient été transformés par Charlie avaient tous reçu une éducation à la limite de la vénération et aucun n'était indispensable. Si ils devaient mourir, Charlie les sacrifiait sans hésiter et ils obéissaient docilement. "Mais jamais ils ne se retourneront de plein gré contre leur mère." l'avertit-elle. "Un Mikaelson m'a déjà poignardé dans le dos avec ce même regard enjôleur que le tien, il est impensable que j'en laisse un second faire de même." Le visage de Charlie était doux, son sourire adorable, et pourtant son regard était dur, autoritaire. Elle acceptait de travailler en collaboration avec Klaus mais autant qu'il le sache tout de suite, il ne saurait se débarrasser d'elle le jour où il n'en aurait plus besoin avec la même violence que son frère. Parce que si ce jour devait arriver, elle serait prête.