Elle devait juste fermer les yeux. Juste quelques secondes. Juste un instant. Juste…

Elle se redressa brusquement sur sa chaise et secoua la tête pour s’empêcher de somnoler.

Non. Garde les yeux ouverts.

Elle devait rester éveillée. Elle ne voulait plus jamais perdre de temps, pas même une seconde. Elle pourrait être fatiguée plus tard.

Elle jeta un coup d’œil autour d’elle et soupira. Son nouveau laboratoire ne valait pas l’ancien, mais c’était tout ce qu’elle avait réussi à construire. C’était tout ce qu’elle avait réussi à récupérer.
Et finalement, ce qui lui manquait le plus, ce n’étaient pas ses recherches, même si elle devait tout recommencer. Elle trouverait une solution. Mais désormais, elle était seule. Si elle avait réussi auparavant à rallier d’autres chercheurs à sa cause, la plupart d’entre eux avaient abandonné l’affaire après la destruction de son ancien laboratoire. La peur l’avait emporté sur leur envie de se battre. Et ils lui avaient tourné le dos, les uns après les autres.

Désormais, elle était seule face à elle-même. Seule face à ses tourments. Seule face à cette sensation de vide qui ne voulait plus la quitter. Alors, elle se plongeait à corps perdu dans son travail pour faire abstraction de tout le reste. Et ça fonctionnait. Pour un temps. Son corps finissait par se rappeler à elle. Depuis combien de temps n’avait-elle pas dormi ? Mangé ? Elle n’en avait aucune idée. Elle avait perdu toute notion du temps. Et pourtant, un temps si précieux…

Brusquement, elle ferma le livre qu’elle était en train de parcourir, se leva et attrapa sa veste avant de sortir du laboratoire. Elle devait se changer les idées. Elle devait occuper son esprit, d’une manière ou d’une autre.

Ne ferme pas les yeux.

Elle verrouilla la porte du laboratoire alors que les derniers rayons du soleil disparaissaient à l’horizon. Elle avait conscience qu’elle ne devrait pas sortir maintenant. Elle avait conscience que les vampires n’allaient pas tarder à se montrer. Mais elle en avait assez de rester cachée. De rester dans l’ombre. Elle voulait agir.

Heureusement pour elle, les chemins qu’elle empruntait n’étaient que peu connus, et les vampires étaient peu nombreux dans cette partie de la ville. De toute façon, elle avait déjà tout perdu. Ils ne pouvaient plus rien lui prendre qui soit d’une quelconque importance pour elle.

Elle poussa la porte du café et entra. Elle avait l’impression de ne pas être venue ici depuis une éternité, et pourtant rien n’avait changé. Rien ne changeait vraiment, finalement.

Non, rien n’avait changé. Du moins, c’était ce qu’elle pensait avant d’entendre la musique. Ça, c’était nouveau. Ça, c’était différent. Elle avait vu quelques personnes s’exercer au piano, mais ce n’étaient que des amateurs. Cette fois… Cette fois c’était… Inhabituel.

Elle ne se retourna pas tout de suite. Mais elle s’arrêta de bouger. Qui que soit ce pianiste, il venait de prononcer son nom. Et… Il savait. Un frisson lui parcourut l’échine. Elle redressa lentement la tête. Il y avait plus de chances qu’il soit vampire qu’humain. Mais… S’il avait voulu la tuer, il n’aurait certainement pas pris la peine de lui adresser la parole. Ce qui signifiait qu’il attendait autre chose.

Elle tourna lentement la tête. Un vague sourire s’installa sur ses lèvres alors qu’elle s’avançait vers le pianiste. Elle approcha finalement un autre tabouret qui se trouvait non loin de là, déclinant son offre de partager son siège. Elle n’était pas inconsciente du danger au point de se jeter dans la gueule du loup.

-  Il semblerait que vous connaissiez mon nom.

Son sourire avait disparu. Elle inclina légèrement la tête.

- Et vous êtes… ?

Elle se montrait peu bavarde et méfiante. Elle avait appris que pour survivre, il valait mieux en dire le moins possible. Elle avait appris que chaque détail comptait.

Ne ferme plus jamais les yeux.

Elle croisa les jambes, puis les bras, peu encline à coopérer. Le pianiste la jaugeait du regard, comme s’il pouvait la connaître en lui jetant un seul et unique coup d’œil. Il avait peut-être eu vent de son histoire, mais ça ne signifiait rien. Elle avait eu l’habitude de subir le jugement des autres après la destruction de son laboratoire. Certains pensaient même qu’elle était du côté des vampires depuis le début. Et qu’elle avait simplement voulu accélérer la disparition de l’espèce humaine.

Mais ce n’était pas ce qui la dérangeait plus. Elle avait fini par s’y accoutumer. Il suffisait qu’elle se concentre sur ses recherches. C’était ce qui l’avait aidé à garder la tête hors de l’eau jusqu’ici. Non, ce qui la dérangeait vraiment, c’était qu’elle ne connaissait pas les intentions de son interlocuteur, qui semblait prendre un malin plaisir à faire durer l’attente. Elle détestait être soumise à l’ignorance. Parce que l’ignorance était synonyme de faiblesse. Et dans un monde comme celui-ci, la faiblesse menait, d’une façon ou d’une autre, à une issue fatale.

Elle redressa la tête et se recula sur son tabouret lorsqu’il se présenta finalement. Evidemment. Evidemment, elle aurait dû s’en douter. Pouvait-elle vraiment s’éloigner de cette famille maintenant qu’elle en avait rencontré un membre ? Elle avait la sensation depuis trop longtemps de vivre une vie qui ne lui appartenait plus. Une lueur traversa brièvement son regard. La dernière fois, elle ne s’était pas assez protégée. Elle avait laissé tout ça se produire. Elle avait laissé l’espoir l’envahir, et lui laisser croire qu’elle avait déjà gagné. Qu’elle avait surmonté tous les obstacles qui avaient pu se dresser sur sa route. Mais l’espoir, l’espoir peut être aussi puissant que dangereux. Elle savait alors qu’il pouvait soulever des armées, mais pas qu’il pouvait aussi les détruire en un claquement de doigts.

La lueur dans ses yeux disparut aussi vite qu’elle était apparue. Cette fois, ce serait différent. Cette fois, elle allait mieux se protéger. Cette fois, elle atteindrait son objectif, quoi qu’il lui en coûte.

Si elle le pouvait, elle aurait déjà quitté cet endroit. Si elle avait su qui il était, elle aurait fait demi-tour sans se poser de questions. Elle n’était pas prête à affronter cette famille à nouveau. Elle n’avait pas les armes pour se défendre si cela s’avérait nécessaire. Du moins… Pas encore.

Mais elle savait très bien que la fuite n’était pas un choix envisageable. Parce que ce n’était pas elle qui contrôlait la situation en ce moment. Elle était impuissante, et tout ce qu’elle pouvait faire, c’était être le témoin d’une histoire dont elle ne voulait pas faire partie. Encore une fois.

Ses épaules s’affaissèrent légèrement quand tous les clients quittèrent le café. Elle aurait pu être effrayée de se retrouver seule face à un Originel. Mais ce qu’elle voyait surtout, c’était qu’il n’y aurait pas de bain de sang. Parce qu’en réalité, rien ne l’effrayait plus que de voir à nouveau la Mort à l’œuvre.

Elle se releva et recula doucement alors que le pianiste posait sa main sur son bras. Elle devait se protéger tant qu’elle n’en saurait pas plus, et ça commençait par le fait de garder une distance de sécurité respectable avec son interlocuteur. Elle ne pouvait peut-être pas partir, mais elle pouvait au moins faire ça.

A nouveau, elle croisa les bras.

-  Je ne me suis pas imaginée que j’avais le choix, ne vous en faites pas. Je ne vais pas m’enfuir.
Elle haussa un sourcil.

- Alors, en quoi puis-je être utile au bien de la famille Mikaelson ?
Elle inclina légèrement la tête. Elle voulait croire qu’il n’était pas différent du frère qu’elle avait déjà pu rencontrer. Elle voulait croire qu’ils étaient tous identiques. Parce que c’était tellement plus facile. Mais elle avait beau se montrer méfiante, elle savait bien qu’elle ne pouvait pas condamner une famille entière à cause du comportement d’un seul de ses membres. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était attendre que le pianiste fasse ses preuves.