Elle déposa ses affaires sur son bureau et lâcha un soupir avant de se tourner vers ses étudiants. En tant qu’enseignante-chercheuse, elle devait normalement enseigner en université, à de jeunes adultes, ceux qui devaient construire le monde de demain, ceux, surtout, qui devaient sauver les cendres d’un monde qui sombrait lentement mais sûrement dans le chaos et les ténèbres. Autrefois, elle avait donc enseigné à l’université, en-dehors de Downside. Mais sortir de la ville sans se faire remarquer et surtout sans se faire tuer était désormais presque impossible. Alors, elle avait commencé à enseigner au lycée, au sein-même de la ville. Et à vrai dire… Elle n’avait pas fait que changer de lieu de travail. Elle avait également transformé ses cours. Elle ne voulait pas seulement enseigner la biologie ou quelque autre science. Oh, la connaissance est source de pouvoir, elle le savait bien. C’était exactement pour cette raison qu’elle ne pouvait pas enseigner ces savoirs sans penser aux conséquences que leur exploitation pourrait engendrer. Elle se devait de transmettre bien plus que de simples connaissances qui pouvaient faire des ravages. Ce dont son public avait besoin, c’était quelque chose à quoi s’accrocher, quelque chose qui leur dirait enfin que non, tout n’était pas fini, tout n’était pas voué à s’écrouler autour d’eux. Alors plus que tout, elle voulait leur offrir ce cadeau si précieux que l’on nommait « espoir ».

Elle se pinça les lèvres un instant alors que ses élèves prenaient place. Oui, autrefois elle était convaincue des idéaux qu’elle voulait transmettre. Elle avait même fait une promesse. La promesse qu’un jour nouveau était sur le point d’éclore, la promesse que la construction d’une nouvelle vie et d’un nouveau monde était possible. Et puis, finalement… Elle avait échoué. Lamentablement. Et alors, le désespoir s’était abattu sur eux. Aujourd’hui, elle n’était plus certaine d’être la mieux placée pour transmettre une quelconque valeur aux jeunes personnes qui se trouvaient désormais devant elle. Pour tout dire, elle n’était même plus sûre d’être dans le bon camp. L’espoir et la persévérance… Qui donc essayait-elle de convaincre ainsi, si ce n’était elle-même ?  

Elle secoua la tête et se tourna pour écrire sur le grand tableau devant elle. Le doute n’avait pas sa place dans cette salle de classe. Elle ne voulait pas laisser toutes ces émotions négatives lui dicter ses pensées et ses actes. Elle refusait de laisser son passé la définir. Mais pouvait-elle vraiment lutter contre sa propre histoire ?

Et puis tout à coup, ses pensées et ses questions s’envolèrent. L’un d’entre eux était entré. Elle perdit une seconde à l’observer, perplexe. Il faisait jour. Si beaucoup de salles ne possédaient pas de fenêtre, il était impossible d’y entrer sans s’exposer aux rayons du soleil. Comment était-il arrivé jusque-là ?
Elle fronça les sourcils. Le temps des questions viendrait plus tard. Elle s’avança vers le vampire, s’interposant entre lui et les élèves. Elle avait bien conscience qu’il ne ferait qu’une bouchée d’elle s’il le souhaitait. Mais la verveine qui coulait dans ses veines l’affaiblirait pendant un temps,  ce qui permettrait aux étudiants de trouver une issue et peut-être de sauver leur peau.

Mais à peine avait-elle fait un pas qu’une fléchette siffla dans l’air, et une ombre se jeta sur l’intrus menaçant. Elle retint un cri et fit un pas en arrière. Elle resta immobile pendant un instant. Encore une fois, elle était là au mauvais endroit, au mauvais moment. Destinée à n’être que le témoin inutile de tragédies qui semblaient se succéder, encore et encore. Elle serra les poings. Non. Non, cette fois elle allait agir. Peu importe qui étaient ces deux individus. Ils étaient occupés à se battre, c’était le moment de fuir. Pour ses élèves, du moins. Elle secoua la tête, et s’avança vers la première rangée des élèves, leur soufflant de quitter la salle en empruntant la porte du fond. Ils seraient bien plus en sécurité à l’extérieur, exposés aux rayons du soleil.

Certains élèves, cependant, eurent le temps d’assister au spectacle morbide qui s’offrait à eux avant de quitter la salle. Elle sursauta violemment quand le plus fort des deux vampires, semblait-il, acheva l’autre d’un coup de machette dans le crâne.
Elle reporta son attention sur ses élèves.

- Sortez vite. Maintenant. Et tâchez de rester exposés au soleil aujourd’hui.

Elle attendit que les derniers élèves quittent la salle avant de se tourner vers celui qui visiblement se présentait comme leur sauveur, et croisa les bras.

- Toute cette violence était-elle vraiment nécessaire ? Vous n’étiez pas obligé de l’achever. Et encore moins de manière aussi brutale, devant un public aussi jeune.

Prudemment, elle s’avança vers lui.

- Je ne sais pas qui vous êtes, ni ce que vous voulez. Et je devrais sûrement prendre mes jambes à mon cou face à un être tel que vous.

Elle soupira.

- Mais de toute évidence, vous avez protégé mes élèves. Pour cela, je vous remercie.

Elle détailla son interlocuteur du regard. Elle n’était pas naïve au point de faire confiance au premier venu, même s’il s’avérait qu’il les avait sauvés.

- Mais permettez-moi toutefois de m’interroger. Qu’est-ce que quelqu’un comme vous vient faire ici ? Qu’est-ce que vous cherchez ? Et surtout… Pourquoi avoir protégé des humains qui auraient pu vous servir de repas ?