Elle s'était légèrement reculée, sa silhouette passant au second plan tandis que le médecin et son patient entraient en discussion. Jusqu'à maintenant, la solitude avait été sa plus grande alliée. Du moins, c'est ce qu'elle avait choisi de croire. Elle ne s'était autorisée à s'entourer que d'individus qui avaient les compétences scientifiques pour l'aider à atteindre son but. Attentive et sur ses gardes, elle avait refusé de partager quoi que ce soit d'autre avec eux. Elle était allée jusqu'à refouler son humanité, jusqu'à cacher sa compassion, qu'elle soit dirigée vers le genre humain ou l'espèce des vampires. Tant qu'elle n'aurait pas atteint son but, ses sentiments devraient rester enfouis, ses besoins, autres que primaires, devraient être réprimés. Elle ne devait avoir qu'un seul et unique objectif. Elle ne voulait pas perdre de temps à surmonter les obstacles. Alors, elle empêchait les murs de s'ériger avant même qu'ils n'apparaissent.
Mais lorsqu'elle entendit les paroles du médecin qui ne lui étaient pourtant pas adressées, le soulagement envahit son cœur. Ses épaules s'affaissèrent et elle se sentit tout à coup plus légère, avant que la fatigue ne vienne l'alourdir de tout son poids. Elle ressentait à cet instant la lassitude et l'épuisement de toute une vie qu'elle avait sacrifié au monde. Comment avait-elle survécu jusque-là, isolée de tout et de tous ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Peut-être même que son esprit en avait subi les conséquences. A cet instant, elle se sentait fragile et solide à la fois, parce que c'était justement sa vulnérabilité qui faisait sa force. Et elle comprit alors que si la solitude l'avait aidée à avancer sans trop de heurts jusqu'à cette ultime étape, elle l'avait peut-être aussi empêchée d'aller plus loin, plus vite. Parce qu'elle ne découvrait que maintenant le réel pouvoir d'une main tendue, de celle qui donne simplement, sans attente, rien qu'un soutien si simple et pourtant si précieux. Elle n'était plus seule. Et si elle avait fait fausse route jusqu'à maintenant ?

Laissant cette question en suspens puisqu'elle ne pourrait jamais obtenir de réponse qui puisse la satisfaire, elle se détourna légèrement des deux interlocuteurs pour reporter son attention sur ses instruments médicaux. Du bout des doigts, elle attrapa une seringue qui contenait le sérum si précieux, celui qui, elle l'espérait, pourrait bien changer le cours de l'histoire. Sa mâchoire se serra et la peur et l'inquiétude prirent son cœur en otage. Elle allait être celle qui allait appuyer sur le bouton qui déclencherait tout. Serait-il instigateur de paix ou destructeur de mondes ?

Soudain, elle réalisa que sa main qui tenait l'instrument tremblait. Elle attrapa précipitamment son poignet avec son autre main pour contrôler les tremblements, avant de cacher furtivement ses mains derrière son dos. Elle inspira en fermant les yeux le temps d'une seconde, avant de sortir de l'ombre pour se rapprocher des deux hommes. Dans l'obscurité, elle s'était révélée, dans la lumière, son masque à nouveau la recouvrait.

Elle s'approcha d'Adam, et posa avec douceur sa main sur son bras. Si le jeune homme avait dans le regard une lueur plutôt sauvage qui exprimait toute sa méfiance, il ne fit aucun mouvement de recul. Tel un animal en cage, elle avait appris, progressivement, à l'apprivoiser.
Elle inclina la tête et se pinça les lèvres.

- Je vais te réexpliquer une dernière fois le processus... Et tu pourras nous poser des questions si tu le souhaites. Ensuite, si le médecin juge qu'il n'y a pas de contre-indication et que ton état le permet... Nous passerons à l'injection du produit. Je te rappelle également que tu peux te rétracter à tout moment avant cette dernière étape.
Une seconde s'écoula, et sa main se resserra sur le bras de son patient.

- Tu n'es pas seul. Nous serons là du début à la fin.
Elle lui présenta son autre main qui tenait toujours la seringue.

- Nous allons injecter dans ton organisme cette substance chimique. Elle contient un sédatif qui devrait réduire la douleur à un seuil de tolérance acceptable. Ce qui signifie concrètement... Que ton corps ne succombera pas à la souffrance que tu ressentiras, mais qu'elle sera tout de même élevée. D'après mes recherches, il est possible que tu souffres d'hallucinations. Je pense... Qu'il est préférable de ne pas se battre face à la douleur et de la laisser t'envahir afin qu'elle ne soit que de courte durée. Ton organisme s'épuisera et tu sombreras. Ton sommeil durera quelques heures tout au plus... Et lorsque tu te réveilleras, ta nature sera celle d'un humain.
Elle se tut, laissant à son patient le temps de digérer les informations qu'elle venait de lui fournir. Ce dernier prit la seringue posée dans la paume ouverte de la chercheuse devant lui.

- Adam...
Elle chercha son regard.

- Je sais que ça fait peur. Et je ne peux garantir le succès de ce projet. Il est possible qu'il y ait des complications... Et dans le pire des cas, qu'elles te soient fatales. Alors je ne t'en voudrai pas si tu voulais laisser tomber. Tu m'as offert ta confiance jusque-là... Ce n'est pas rien. Quoi qu'il puisse arriver, ce qui va se produire aujourd'hui changera les choses, d'une manière ou d'une autre. Et tu y auras participé. J'ai l'espoir que notre monde peut encore changer pour le meilleur... Si tu n'as plus rien à perdre, je veux t'offrir cette chance d'avoir tout à gagner.
Elle se recula finalement, laissant la seringue entre les mains de son patient. Le silence s'installa dans la pièce. Elle se tourna vers le médecin et plongea son regard dans le sien. Elle détestait qu'on puisse lire en elle comme dans un livre ouvert, pourtant, elle espérait cette fois qu'il lirait dans ses yeux toute la gratitude qu'elle éprouvait à son égard. Si elle était encore debout, si elle n'avait pas fui, si son cœur n'avait pas encore implosé à l'intérieur de sa poitrine, c'était grâce à sa présence qui la rassurait sans qu'elle ne puisse vraiment se l'expliquer. Il lui avait assuré qu'il n'était là que pour accomplir son devoir, mais pour elle, c'était bien au-delà de tout ça.

Elle se redressa doucement et son bras effleura le sien involontairement. Elle se pinça les lèvres, hésita un instant, et lorsque les mots franchirent enfin ses lèvres, sa voix n'était plus que l'écho d'un doux murmure.

- Merci d'être là. Je n'y serais pas arrivée toute seule... Alors merci.

Inspire. Expire.
Le sourire toujours accroché au visage, elle tentait de rappeler à son organisme de se fournir en oxygène. Elle était l'instigatrice de l'expérience... Pourtant, elle avait l'étrange impression d'être, elle aussi, une patiente qui attendait de recevoir son traitement avec impatience. Mais comment soigne-t-on la peur, et plus que toute autre chose, la culpabilité ? Comment se débarrasser du cancer quand on ne fait plus qu'un avec lui ? 

Elle resta silencieuse quelques instants. Peu importe le combat intérieur qu'elle menait, le défi qu'elle devait relever aujourd'hui était bien trop important pour qu'elle se permette de tout gâcher avec des mots et des sentiments qu'elle traînait derrière elle depuis si longtemps. Pourtant, elle ne put s'empêcher de se pincer les lèvres quand le médecin reprit ses dires avec plus de conviction et de fermeté. Parce qu'en vérité, elle ne pouvait rien affirmer du tout. Elle ne savait pas comment combattre la douleur, la peine, le chagrin. Elle ne parvenait qu'à les éloigner temporairement... Et, inlassablement, ils revenaient à la charge, l'écrasant de tout leur poids. Elle ne savait pas quelles armes brandir pour gagner ce combat, une bonne fois pour toutes. Elle ne savait pas comment guérir. Elle ne l'avait jamais su. Et si c'était impossible ? Et si, en croyant transmettre le vaccin, elle ne faisait que propager le virus ? 

Elle croisa les bras, comme elle le faisait à chaque fois qu'elle sentait la nervosité la gagner. Évidemment. C'était un vampire, il avait déjà connu nombre de douleurs et souffrances. Il avait probablement détesté sa condition après sa transformation, puisqu'il souhaitait redevenir humain. Aujourd'hui, on lui faisait miroiter un espoir... qui n'était peut-être finalement qu'un mirage. N'était-ce pas la pire des tortures ? Aujourd'hui, elle avait le pouvoir de lui redonner une chance de vivre... mais aussi celui de lui asséner le coup fatal. 

Elle planta ses ongles dans la chair de son bras. C'était ridicule. Les jeux étaient faits, il était trop tard pour reculer. Elle ne pouvait qu'avancer encore et encore, même si elle perdait tout, même si les risques étaient trop élevés. Il n'y avait rien d'autre à faire. A quoi bon se soucier de son propre sort ? Elle ne devait pas se battre pour elle, il était temps de se retirer de l'équation. Oui, il était trop tard... Elle avait déjà du sang sur les mains, et rien au monde ne pourrait effacer cette dette sanglante. 

Lorsqu'elle se tourna vers le médecin, la lueur qui brillait d'ordinaire dans ses yeux semblait sur le point de s'évanouir. 

- Je suis loin d'être aussi forte que vous le pensez. Le courage sur lequel je m'appuie pour avancer... Il ne vient pas de ma détermination, mais de la foi que les autres placent en moi. J'ai longtemps cru que je me devais d'avancer seule. Je sais aujourd'hui que je n'en aurai pas eu les capacités nécessaires.
Elle se tourna vers son patient. 

- Bien. Si tu n'as pas de question et que tu es toujours partant... Nous allons passer dans la salle d'expérimentation. 
Elle pivota vers la droite et avança jusqu'à une porte qu'elle ouvrit, sans même vérifier qu'elle était suivie par les deux hommes. Elle était comme Orphée sortant des Enfers... Un seul regard en arrière, un seul, et tout serait perdu à jamais. 
La salle d'expérimentation ressemblait étrangement à une salle d'interrogatoire : une table et deux chaises trônaient au milieu, et une grande vitre séparait la pièce de l'observatoire. Les seuls éléments qui dénotaient étaient le lit à côté de la table, et le fait que la vitre ne soit pas un miroir sans tain. 

Elle s'approcha du lit, et, d'un geste fluide, invita le patient à venir s'asseoir. La panique serrait toujours atrocement son cœur, mais elle avait créé un étau autour de ce dernier afin que rien ne s'en échappe. Sans ses doutes, sa crainte et sa culpabilité, elle se sentait vide, légère. Et c'était exactement celle qu'elle devait être en cet instant. Sous cette apparence, elle était une bombe à retardement, et ses démons intérieurs s'en délectaient, puisqu'elle avait cessé de les repousser. Mais qui pouvait bien s'en préoccuper ? Pas elle, en tout cas.

Elle s'approcha de la table sans un mot, attrapant des gants en latex qu'elle enfila. Ses gestes étaient parfaitement maîtrisés, mais le compte à rebours avait commencé. Elle saisit les compresses et le produit désinfectant, et fit de nouveau face à son patient. 

- Dès que tu es prêt, nous pouvons commencer. 
Il hocha aussitôt la tête, et elle haussa les sourcils, surprise par cette réaction aussi rapide. Elle leva les yeux vers son allié, cherchant dans son regard le courage qui lui était nécessaire pour passer à l'action... Ou peut-être voulait-elle seulement gagner du temps. Elle se pinça les lèvres et ferma les yeux, agacée par ce trop-plein d'humanité. Elle comprit qu'elle devait la faire taire si elle voulait sauver celles des autres. Ses paupières se soulevèrent. Ses mains prirent délicatement le sérum des mains du jeune vampire, et ses prunelles se posèrent sur son bras, cherchant la veine. Tel un automate, elle désinfecta la zone de la peau qui allait être touchée, et approcha la seringue. Elle devait agir avant la fin du compte à rebours, elle le savait. Pourtant, elle décida de suspendre le temps quelques secondes de plus. Les mots se formaient sur ses lèvres, sa voix réclamait le droit d'être entendue. Elle peina à reconnaître le son qui sortait de sa bouche, plus rauque, plus sombre que d'ordinaire, et pourtant, sûrement plus sincère. 

- Merci. Pour tout.
Elle ne releva pas la tête. Ils ne devaient pas voir ses yeux, pas maintenant. La seringue s'enfonça dans le bras du jeune homme. Elle sentit ses muscles se crisper brièvement tandis que le liquide quittait l'instrument médical pour pénétrer dans le corps. Lentement, elle retira l'objet, et appuya la compresse sur la plaie. 

- C'est terminé. 
Elle fronça les sourcils. Oui... Rien n'avait encore commencé, pourtant tout était déjà terminé. Elle refusa de croiser le regard de son patient ou du médecin qui plaçaient sans doute trop d'espoir en elle. Elle voulait partir, quitter cet endroit pour toujours. Mais elle était incapable de bouger, incapable de quitter le chevet du vampire. Il était le tout premier à subir ce traitement. Elle ne pouvait prédire ses réactions, potentiellement dangereuses pour une humaine comme elle. Mais elle ne pouvait se résoudre à l'abandonner. A moins... Qu'il ne s'agisse que d'une stratégie d'évitement pour fuir ce qu'elle ressentait à cet instant. 

Elle soupira. Elle pouvait regarder derrière elle autant de fois qu'elle le voudrait désormais. Il n'y avait pas de retour en arrière possible. 
Elle sentit tous les muscles de son corps se tendre, à l'affût. Elle ferma les yeux quelques secondes. 

Inspire. Expire.

Tic. Tac.
Les mots du médecin résonnèrent dans son esprit et le fantôme d'un sourire se glissa sur ses lèvres. La gangrène... C'était une pathologie qui menait le plus souvent à l'amputation d'un membre. Mais comment stopper l'infection lorsqu'elle ne concernait pas le corps, mais l'esprit ? Sûrement aurait-il fallu qu'elle ampute ses propres pensées, et surtout, ses propres sentiments. Elle rêvait parfois de fermer les yeux et de contempler le néant, là où ne régnait que le silence absolu. En réalité, elle redoutait de laisser ses paupières se fermer. Parce qu'alors, elle était forcée de faire face à son miroir, à ses sentiments, à ses démons, à tout ce qui faisait d'elle ce qu'elle était. Lorsqu'elle fermait les yeux, c'étaient des ouragans et des couleurs qui s'enchaînaient en quelques dixièmes de secondes, s'imprimant avec force sur sa rétine et sur son cœur. C'étaient des souvenirs, surtout les plus douloureux puisque ce sont ceux-là que l'on retient le mieux, c'étaient des mots, des paroles, des sentiments qui faisaient saigner ses tympans et qui martyrisaient son organe vital. C'était tout à la fois, pourtant, ce n'était rien, puisqu'elle était incapable de différencier un élément d'un autre. Tout était entremêlé, absorbé dans une tempête qui jamais ne pouvait s'apaiser, qui toujours ne pouvait que s'intensifier. Ça, ça, c'était elle. Elle était tout et rien à la fois. Et lorsqu'elle pensait savoir qui elle était, lorsqu'elle pensait avoir défini ses valeurs, ses croyances, ses fondations, l'ouragan venait tout balayer sur son passage, comme si rien de ce qu'elle pouvait bâtir n'avait la moindre importance. Rien n'était sûr, tout était à construire en permanence. Alors elle avait essayé, elle avait vraiment essayé de devenir quelqu'un d'autre, puisqu'il était impensable qu'elle aime cette image qu'elle renvoyait dans le miroir. Elle avait essayé de freiner ses pensées, de les transformer, de les réduire, de les exterminer. Elle avait tenté de repousser ses sentiments les plus profonds. Elle avait tout essayé, mais elle n'était parvenue qu'à repousser l'inévitable, qu'à se détourner de la personne qu'elle était vraiment. Et la souffrance, au bout du chemin, n'en était que plus grande, lorsqu'elle avait enfin compris. La tempête était elle, et elle était la tempête. Par conséquent, la douleur ne pourrait s'arrêter qu'au moment fatal. 

Elle ne répondit pas. Elle ne pouvait pas, sous peine d'en mourir si elle s'exposait ainsi à qui que ce soit. Parce que, de façon ironique, elle n'était pas encore prête à mourir. Elle s'était persuadée que son instinct de survie l'empêchait d'abandonner complètement. Mais sans doute serait-il plus juste de dire que c'était la peur, qui se trouvait très certainement au centre même du cyclone. 

Elle ne répondit pas. Le silence paralysa l'instant, reflet de son esprit qu'elle avait enchaîné dans le but de garder le contrôle. La tension, cependant, restait palpable, tandis que ses pensées luttaient pour sortir de leur prison. Ce n'était qu'une question de temps.

Le patient eut un soubresaut, et elle sursauta. Un maillon de la chaîne se brisa. Elle serra les poings, et inspira. Il ne fallait pas céder. Pas maintenant. 

Silence, à nouveau. Deuxième soubresaut. Elle fronça les sourcils, jeta un coup d’œil sur sa montre. Trop rapide. Beaucoup trop rapide. 

Troisième soubresaut. Non, spasmes. Le patient ouvre les yeux. Injectés de sang. Un râle s'échappe de sa gorge. Il s'étouffe. Du sang mêlé à de la bile s'accumule près de sa bouche. Il faut qu'il crache. 

Il faut qu'il vive. Au bout de quelques secondes, longues et vitales, elle agit enfin. Elle tourne le corps de l'homme sur le côté afin qu'il puisse évacuer le liquide qui infecte son œsophage. Il tousse, il crache, il vomit ses tripes. Son corps est secoué de tremblements de plus en plus violents. Elle tente de le maintenir en place, jette un coup d’œil vers le plateau dans lequel elle a laissé ses instruments. Des anti-douleurs. Comment connaître leurs effets combinés à ceux du traitement ? Une seule façon de le savoir. Elle attrape une nouvelle seringue remplie d'un nouveau liquide, tente de viser la veine du bras tandis que le vampire ne peut empêcher son corps de s'agiter. L'anti-douleur pénètre dans le corps. Les tremblements se calment progressivement. Le rythme cardiaque décélère. Les vomissements s'arrêtent.

Tout s'arrête.

Silence. 

Son propre rythme cardiaque s'accélère. Lentement, au début. Elle attend un miracle, son miracle, celui qui viendra la sauver de ses tourments. Rien ne vient. Elle pose une main tremblante sur le bras de son patient. Elle comprend. Elle sait. Non. Elle s'approche encore, espérant entendre un souffle, même léger, sortir de la bouche de l'homme qu'elle vient de détruire. Ses battements cardiaques s'accélèrent encore. Sa main se pose sur le poignet de l'homme pour prendre son pouls. 

Et c'est terminé. Tout était terminé. Elle ne voyait plus rien, elle n'entendait plus rien. Plus de chaînes, plus de prison. Elle aurait voulu s'écrouler. Elle aurait voulu s'effondrer. Mais la souffrance était trop grande, elle la paralysait sur place, aspirant toute forme d'énergie. Elle ne pouvait plus respirer. Les larmes coulaient abondamment de ses yeux, pourtant, ses sanglots, qui secouaient sa poitrine par spasmes douloureux, étaient parfaitement silencieux. Elle savait, elle savait qu'en ce qui la concernait, les blessures les plus profondes étaient les plus muettes. Elle était terrassée, pourtant, elle ne pouvait s'autoriser à extérioriser pleinement la douleur. Parce qu'elle n'était pas seule. Il était encore là. Elle ne pouvait pas lui montrer son visage, son vrai visage. Parce qu'elle savait que c'étaient en ses instants qu'elle était la plus véritable, et la plus vulnérable. Et même si elle avait relâché son emprise sur son esprit, elle gardait encore le contrôle avec l'énergie du désespoir. Mais il fallait qu'elle sorte de cette pièce. Qu'elle échappe à son regard. Vite. Elle allait se briser en mille morceaux, elle le savait, mais elle devait le faire seule, loin de la pitié ou de la déception qu'elle pouvait lui inspirer et qu'elle pourrait lire dans ses yeux. Son propre jugement était déjà bien assez lourd à porter. 

Elle se retourna brusquement, les yeux rivés au sol. Elle avança tant bien que mal vers la porte, les larmes aveuglant ses yeux et les tremblements l'empêchant de contrôler parfaitement son corps. Son cœur s'arrêta un dixième de seconde lorsqu'elle réalisa qu'il se trouvait devant son issue de secours, et elle eut cru qu'elle allait exploser là, ici, tout de suite. Elle fronça les sourcils, exprimant son propre dégoût d'elle-même, rassembla des forces qu'elle n'avait plus à travers une colère sourde, et força une voix et des intentions qu'elle n'avait pas à sortir de sa gorge.

- C'est un échec. C'était une erreur de vous avoir demandé de venir. Je n'aurai pas dû vous impliquer. Rentrez chez vous. Vous ne me reverrez plus, je vous en donne ma parole.