I see your soul through your window pane.

L'endroit était relativement vieux jeux, à tel point que le jour où le propriétaire mourrait, il serait probablement vendu pour en faire autre chose. Il y avait quelques paquets de cigarettes, les plus classiques et les plus vieux, des magazines de chasse et pêche, mais aussi de people vieux de plusieurs jours, et dans un coin à l'abris des regards potentiellement enfantins on devinait les formes dénudés de modèles photos masculins et féminins. Sora avait déjà mis son nez dans ces derniers mais elle n'avait pas compris l'intérêt et trouvait leurs "costumes" un rien barbants. Le comptoir n'était pas bien grand non plus, il comprenait une caisse enregistreuse et quelques friandises à vendre que Saoirse ne se gênait pas de prendre. Elle avait d'ailleurs à l'instant une sucette dans la bouche, tandis qu'elle étudiait un magazine people étalé sur le comptoir devant elle. Elle tournait les pages avec ennui sans trop comprendre ce qui poussait les gens à s'intéresser à des vies qui n'étaient pas les leurs, tout en se laissant prendre au jeu parce qu'elle examinait les corps et les histoires de coeur de ces personnalités avec curiosité. Elle s'attarda sur les fesses refaites d'une gosse de riche brune, qui n'avait rien fait d'autre dans sa vie que d'exposer sa silhouette. Non pas qu'elle la juge pour ça, au contraire, Saoirse était plutôt du genre à penser que l'anarchie sur terre serait la plus belle des politiques, mais les commentaires des journalistes n'allaient visiblement pas dans ce sens. "Elle peut s'asseoir là-dessus... ?" demanda-t-elle au magazine sans attendre de réponse. Et puis soudain la porte de la boutique s'ouvrit et l'esprit de Sora s'envola vers la réalité.

Une jolie jeune femme venait de rentrer, trempée de la tête aux pieds. Son chemisier lui collait à la peau, soulignant sa poitrine et son soutien-gorge, et les gouttes d'eau qui dégoulinaient de son chignon dévalaient son cou comme un pied de nez à l'ancienne vampire. Saoirse passa discrètement sa langue sur ses lèvres avant de relever les yeux vers le visage de la cliente. Au moins pour faire semblant. « - Excusez-moi [...] franchise mais… » Saoirse n'avait pas bougé de son comptoir. Elle aurait pu se pencher, s'avancer, mais elle n'en fit rien parce qu'elle aimait ce petit moment où elle voyait sans être vue. C'était la minute de domination sur la proie, celle qui était salvatrice lors de la chasse. Celle qu'elle n'avait plus l'occasion d'exploiter depuis qu'on lui avait volé sa véritable nature. « - Bonjour, je m’appelle Jennyfer. » Sora tira la sucette de sa bouche dans un petit "pop" et lui rendit son sourire de ses petites dents rondes. Il lui arrivait parfois de passer sa langue sur ses canines mais la déception de ne sentir aucun bout piquant remettait vite sa langue à sa place. Pour l'instant en tout cas elle ne fit rien de bizarre. Pas encore. Et pourtant il se passait un nombre incalculable de choses indécentes dans son esprit au moment où elle profitait de la vue de cette charmante inconnue. "Vous pouvez rester. Le patron n'est jamais là." Et de toute façon ce vieux pervers dégueulasse l'aurait probablement laissé rester juste pour la mater. Saoirse abandonna son magazine pour aller dans l'arrière boutique où elle prit plusieurs paquets de mouchoirs et des vêtements à elle, qu'elle laissait là exactement pour les jours comme ceux-là où elle se prenait la flotte en venant travailler. Elle revint avec tout ça après quelques minutes et sortit de derrière le comptoir pour approcher de la blonde. "Tenez... Je n'ai pas de serviette, mais des mouchoirs devraient suffire. Et vous pouvez mettre mes vêtements, vous allez tomber malade si vous restez dans cette tenue." dit-elle en baissant une fraction de secondes le regard sur son soutien-gorge apparent. Elle le détourna toutefois assez vite pour que le doute soit minime. Elisabeth apparut en flash dans l'esprit de l'homiférée qui sentit son coeur se serrer dans sa poitrine. Elle lui ressemblait. Le même sourire, la même grâce naturelle, probablement la même odeur. Un nouveau sourire s'étira sur les lèvres de Sora, dont le regard se faisait plus profond et les pupilles plus sombres. "Vous pouvez vous changer à l'arrière si vous le voulez. Il y a des toilettes au fond à droite." lui indiqua-t-elle. Elle repassa derrière son comptoir, un peu rapidement d'ailleurs, comme si elle s'y cachait. Ses lèvres étaient légèrement pincées entre elles et elle remit sa sucette dans sa bouche comme pour combler un manque. Elle était bizarre, à n'en pas douter, mais de là à savoir exactement pourquoi...