Odd couple

Les temps sont durs, en ce moment. De plus en plus de morveux tentent de s’introduire dans le commerce de Michael et cela ne lui plaisait pas du tout. Sa vigilance se devait d’être bien plus élevée que de coutume ; on surveillait ses hommes de très près, la confiance se faisait rare. Et parfois, il se retrouvait à surveiller par lui-même les quelques hommes qui vendaient ses produits, dans la rue ou dans sa boutique. Depuis que la femme dont il avait volé “quelques” cargaisons avait pu s’introduire dans son manoir, il commençait à développer en lui une sorte de paranoïa.

On raconte qu’il faut toujours suivre son instinct, et c’est pour cette raison qu’il se trouvait ici, ce soir, quelques minutes avant minuit, dans un coin sombre de la ville de Downside. Ville bien agitée, par ailleurs. Probablement car les vampires ici sont très nombreux. Disons que cela ne plaît pas à tous. De toute manière, les humains étaient déjà à deux doigts de disparaître et de crever pour pourrir en Enfer. Qui pourrait les aider ? Autant en profiter.

Après avoir fait un tour par sa boutique, Michael s’était donc mis à suivre un de ses hommes, les phares éteints afin de ne pas se faire remarquer. Il commencerait à complètement flipper s’il se rendait compte que le grand patron surveillait d’aussi près ses “employés”. Le vampire s’était bien rendu compte que quelque-chose clochait chez le jeune homme.

S’arrêtant une vingtaine de mètres plus loin, Michael se pencha sur son volant, laissant ses pendentifs et colliers s’agiter, se heurter contre celui-ci, et faire un léger bruit de tintement dans l’habitacle de la voiture. Son homme semblait discuter très sérieusement avec un inconnu. Un mec, probablement un vampire, qui semblait s’intéresser à son business, ou à autre-chose en rapport avec Michael. Rien de très alarmant jusqu’à présent. Mais les choses commencèrent à se corser lorsque le premier des douze coups de minuit sonna.

Le sang giclait de partout, le corps du pauvre employé se débattait encore alors que sa tête en était séparée, les flammes faisaient fondre la peau qui fusionnait lentement avec la chair du pauvre petit vampire qui s’était tout simplement trouvé au mauvais endroit au mauvais moment.

Décidant de toucher un petit mot à l’inconnu, il ralluma ses phares, mit le contact, puis avança lentement dans l’allée, pas très loin d’une Cadillac noire (qui appartenait certainement à l’inconnu). Laissant le moteur tourner, Michael ouvrit lentement la porte, baissa la tête alors qu’il posait un pied sur le sol humide, puis la releva pour scruter la scène de ses yeux ambrés. Plissant les yeux, il claque la porte dans un calme olympien avant de s’avancer, enfonçant ses mains dans ses poches. Il s’arrêta à quelques mètres du vampire tatoué.

“Tiens donc. Un insoumis, apparemment. Je sens la peste à des kilomètres à la ronde,” dit-il avec un petit sourire en coin.

Ses bijoux tintaient, comme toujours. Il avait l’habitude. Pour Michael, sortir sans bijoux était comme sortir complètement nu : c’était inconcevable. Il pencha la tête et baissa le regard vers le corps déchiré en deux et calciné du feu employé. Prenant un air faussement touché, il donna un petit coup de pied empli de médisance à la tête sans corps qui roula vers l’inconnu.

“Qu’est-ce qui vous pousse à faire ce genre de choses ? Cet homme avait… Une femme, un enfant, peut-être. Il ne faisait rien de mal, lui. Il souhaitait juste… nourrir sa famille. Et on se demande encore quels sont les méchants ?”

L’inconnu s’approche, Michael reste droit, le torse bombé tandis qu’il observe son visage dans la pénombre. Un regard noir, des traits légèrement arrondis, un visage renfermé et menaçant… Pas de doute, c’était un insoumis. Quelle bande d’abrutis, ceux-là…

“Vous semblez plein de haine. Au lieu de vous en prendre à un pauvre homme innocent, trouvez-vous un adversaire à votre taille et prenez-vous en à moi, si vous en êtes capable.”

Avec un sourire malicieux, Michael plonge son regard dans les yeux noirs de l’inconnu, puis lui tend une de ses cartes de visite.

“Vous avez perdu ça. Rendez-moi visite un de ces jours, si vous souhaitez tant que ça vous en prendre à l’Elite. Mais vous risquez de le regretter, croyez-moi.”

Odd couple

Michael fronça les sourcils en l’écoutant, plongeant son regard dans les yeux de l’italien sans réellement se poser de question. Cet homme n’était rien d’autre qu’un gringalet. Très sexy, mais ce n’était qu’un gringalet. Il faisait l’imbécile en le provoquant, n’ayant visiblement pas connaissance du pouvoir qu’avait Michael sur toute la ville. Il était d’ailleurs très étrange qu’il ne savait rien de tout ceci, car le nom de Michael Zhang Min était tout de même assez connu. Peu importait.

Il sortit brusquement de sa rêverie presque admirative du physique du vampire en face de lui lorsque le gamin fonça sur lui pour lui dérober ses bijoux. Ses précieux bijoux, son petit trésor à lui. Sa phrase cinglante provoqua une frustration immense. Cependant, il tenta de garder son calme, afin de rester humble. Rester humble face à la plèbe. Il poussa alors un long soupir.

« Tu as intérêt à me rendre mon trésor un jour, jeune homme. Car je vais te retrouver, et te tuer si tu ne t’exécutes pas. »

Il le regarda alors le provoquer encore un peu comme un chihuahua, aboyant hargneusement contre lui sans montrer le moindre signe d’actes. Tout en l’observant s’éloigner dans la poubelle qui lui servait de voiture, Michael leva les yeux au ciel et se retourna, marchant tranquillement jusqu’à s’arrêter dans une rue un peu plus fréquentée pour appeler son chauffeur, qui de toute évidence était encore debout à cette heure-là.

Les jours passaient, Michael ne s’inquiétait que très peu à propos de l’inconnu menaçant qu’il avait croisé. Le corps de son pauvre sbire (qui ne cherchait que à nourrir ses enfants ainsi que sa femme) avait été retiré par d’autres sbires du chinois. La famille du pauvre vampire décédé avait eu droit à son petit pactole d’argent, et bien sûr, Michael prenait soin de verser le strict minimum à la pauvre veuve tous les mois. Du moins c’est ce qu’il avait prévu de faire. On l’insultait souvent de monstre, mais à tort. Michael souhaitait constamment bien faire. Protéger son peuple, peut-être au détriment des êtres humains, mais c’est la loi du plus fort, ici. Et même dans la nature, le lion domine tandis que la gazelle se sacrifie pour le nourrir. C’est comme ça, c’est tout.

Alors qu’il s’était rendu un peu plus tôt dans la nuit dans sa boutique, Michael fut pris d’une sorte de mauvais pressentiment. Il sentit un parfum familier, qui lui rappelait cette drôle de nuit, où il avait rencontré ce « charmant » jeune homme.

Il savait qu’il rôdait dans les parages. Quelques minutes plus tard, le périmètre était infesté de ses sbires, camouflés partout : dans la boutique, dans la rue, aux alentours… Et bien évidemment, ils ne tardèrent pas à le trouver et à l’amener dans le bureau de Michael, qui se trouvait à l’étage de la boutique. Bureau dont il ne se servait presque jamais, puisqu’il gérait son business quasiment uniquement depuis chez lui.

Levant la tête en entendant les quelques injures du jeune homme envers les sbires de Michael, il leva les yeux et se mit à sourire d’un air satisfait, se levant comme s’il s’agissait d’un invité d’honneur.

« Eh bien, on dirait que tes plans ont échoués, peu importe ce que tu voulais faire. On ne descend pas le business d’un homme comme moi aussi facilement, tu sais. »

Il se mit à tourner autour de lui alors que les hommes de mains de Michael attachaient Alessandro, un petit sourire satisfait sur son visage.

« Je suppose que tu as quelque-chose qui m’appartient, jeunot. »

Il se mit à le fouiller de lui-même, passant ses mains sur son torse, dans son dos, sur ses poches, et même ses jambes, jusqu’à trouver le « trésor » qu’il conservait depuis des siècles.

« Tiens, moi qui pensais qu’ils ne te plaisaient pas. Tu ne serais pas un peu trop obsédé par moi, à tout hasard ? »

Achevant sa phrase, il s’appuya sur son bureau, regardant l’italien droit dans les yeux en croisant les bras, son grand sourire presque pervers sur le visage tandis que le plus jeune tentait de se débattre, attendant patiemment la première remarque cinglante qu’il allait lui faire.